Archivé: LHC : Mesures de précision pour l’interaction nucléaire forte et un résultat inattendu pour l’expérience ALICE

17 décembre 2020

Dans un article publié le 9 décembre dans la revue Nature, la collaboration ALICE décrit une technique qui ouvre la voie à des études de haute précision auprès du LHC sur la dynamique de la force forte liant les hadrons entre eux. Cette mesure inédite est utile pour de nombreux domaines de physique et astrophysique nucléaire, et pourrait notamment permettre de mieux comprendre les conditions de stabilité des étoiles à neutrons.

À l’heure actuelle, l’un des plus grands défis en physique nucléaire est de comprendre l’interaction forte entre hadrons à travers l’étude des éléments constitutifs des hadrons, à savoir les quarks et les gluons. Une manière d’éclairer sous un nouveau jour cette interaction forte est d’étudier avec précision les interactions entre nucléons (protons et neutrons) et hypérons (des hadrons « étranges » constitués de trois quarks dont au moins un étrange). Ces interactions, délicates à étudier expérimentalement, sont en effet d’une grande importance non seulement pour la physique nucléaire, mais aussi pour l’astrophysique nucléaire.  

Mais comment observer expérimentalement des interactions avec des hadrons instables tels que ces hypérons ? Pour surmonter cette difficulté, une équipe de l’université technique de Munich appartenant à la collaboration ALICE a mis à profit un résultat majeur publié en 2017 qui révélait une production accrue de hadrons étranges lors de certaines collisions de protons réalisées au LHC. Les scientifiques ont en effet montré qu’il était possible d’observer précisément l’interaction des hypérons avec des protons également formés lors de ces collisions.

Cette mesure inédite est utile pour de nombreux domaines de physique et astrophysique nucléaires, et pourrait notamment permettre de mieux comprendre les conditions de stabilité des étoiles à neutrons. Ces travaux impliquent notamment Boris Hippolyte, enseignant-chercheur à l’IPHC et responsable ALICE à l’IN2P3.

Vue d’artiste de l’interaction étudiée par ALICE, entre l’hypéron le plus rare, l’hypéron Omega (Ω) (à gauche), contenant trois quarks étranges, et un proton (à droite). ©CERN

« Ils utilisent une technique d’interférométrie1  appelée “femtoscopie” qui permet de mesurer la taille “effective” de la région d’interaction en mesurant les corrélations d’impulsions entre les particules émises, » explique Boris Hippolyte, enseignant-chercheur à l’IPHC (Strasbourg) et responsable ALICE à l’IN2P3. « Le point novateur a été d’inverser cette méthode : lors des collisions proton-proton au LHC, on connaît déjà la “taille” de la collision grâce à d’autres interactions : elle est de l’ordre du femtomètre (10-15 m). On peut donc en déduire le potentiel d’interaction entre hypérons et protons en mesurant les corrélations d’impulsion, » poursuit le chercheur. 

L’étude publiée par ALICE permet de préciser l’interaction entre les protons et les hypérons Ω(constitués de trois quarks étranges) et entre les protons et les hypérons Ξ (2 quarks étranges, un quark down). Ces interactions sont décrites et prédites par la chromodynamique quantique, la théorie de l’interaction forte très difficilement résolvable analytiquement mais modélisable avec une grande précision grâce à des supercalculateurs, lorsque les particules étudiées sont suffisamment lourdes (ce qui est le cas pour les hadrons étranges). Le résultat obtenu par ALICE montre une précision comparable avec les simulations numériques de pointe effectuées avec des supercalculateurs, ce qui en fait une méthode fiable pour des analyses concernant d’autres types d’interactions impliquant des hypérons ou des hadrons charmés dès le redémarrage du LHC en 2022. « La remarquable capacité du détecteur ALICE à identifier et mesurer les impulsion des hadrons étranges et charmés et l’ingéniosité de cette analyse font de cette nouvelle méthode une base d’évaluation solide pour les travaux théoriques ultérieurs, » ajoute Cvetan Cheshkov, chercheur à l’IP2I (Lyon) et coordinateur adjoint de la physique dans ALICE. 

Ceci pourrait permettre de comprendre le comportement de la matière nucléaire à haute densité, ce qui sera pertinent aussi bien pour la compréhension de la stabilité des étoiles à neutrons, de la fusion d’étoiles à neutrons ou des collisions d’ions lourds à plus basse énergie.

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